Le rappeur Ninho, qui sortait en décembre dernier son album Jefe, rencontre un immense succès. C’est l’un des artistes les plus écoutés en France tous supports confondus. Entre une production soignée, un travail acharné et des featurings divers et variés, le rappeur construit sa carrière patiemment.
Ninho ? Une énigme. Rappeur de qualité, il n’est pas de ceux qui font les gros titres de la presse rap. Aucun scandale en vue depuis son début de carrière professionnelle, quand il avait 17 ans et sortait sa première mixtape Ils sont pas au courant Vol. 1. Il a même réussi à esquiver les provocations de Booba, qui a tenté de le clasher sur les réseaux sociaux à plusieurs reprises lors de la sortie de son nouvel album Jefe, lui proposant un duel musical, une invitation que Ninho a superbement ignorée.
Ses interviews ? S’il est capable de les gérer sans heurts quand son interlocuteur connait son sujet, comme Mouloud Achour sur Clique, Ninho reste plus efficace au micro dans un studio que sur un plateau. « J’ai toujours gardé la ligne directrice de mes débuts, c’est ça qui retient mon public » expliquait-il pour la sortie de Comme Prévu, son premier album officiel après une série de mixtapes ayant contribué à consolider son image de « vrai » rappeur, au sens technique du terme.
Storytelling et travail acharné
Car même si Ninho a signé une grosse poignée de singles dirigés vers le grand public, comme Mamacita en 2017, il n’a jamais suivi le chemin d’un Jul, qui aime multiplier les instrus à la sauce zumba et n’hésite jamais à aligner des rimes pas toujours essentielles.
Le festif, ça n’est pas vraiment la came de Ninho, même s’il sait faire. Il est plus performant dans le storytelling (avec un goût prononcé pour les histoires de trafic), et reste un des rares jeunes artistes à garder un équilibre entre le fond et la forme, entre les lyrics de qualité et un flow qui n’oublie jamais la technicité.
Travailleur acharné, Ninho passe beaucoup de temps en studio : alors qu’il va fêter son 26e anniversaire (le 2 avril 2022), cet artiste qui commença à gratter ses premières rimes à l’âge de 12 ans a déjà à son actif trois albums, six mixtapes et 35 singles.
Si l’on compte les multiples featurings qu’il a engrangés, ce ne sont pas moins de 110 singles d’or, 40 de platine et 20 de diamant (dont Madre Mia avec Sadek) qu’il faut mettre à l’actif de ce rappeur, deuxième artiste le plus écouté de l’année 2021 avec 422.000 ventes cumulées (selon le SNEP).
Au fond, ce qui fait le succès de Ninho, c’est peut-être tout simplement cette capacité qu’il a à faire le grand écart entre la nouvelle et l’ancienne génération, comme sur le très emblématique single Air Max de 2018, où sa présence aux côtés de Rim K du 113 a boosté l’album de ce dernier (Mutant).
Featurings éclectiques
Bien sûr, il n’est pas le premier à participer à des morceaux avec des artistes rap de tous styles, mais la liste de ses featurings est d’un éclectisme rare : le jeune Zola (Papers, 2019), le vétéran Mac Tyer (Moto, 2020), le toujours festif Jul (Et je deviens fou en 2018, Tel Me en 2019), le rappeur populaire Soprano (Musica en 2019), l’Italien Capo Plaza (Billets, 2018), le rap mafioso SCH (Mayday, 2019), le lover Dadju (Grand bain, 2020), le rookie Da Uzi (Crois-moi, 2020), la star congolaise à l’ancienne Koffi Olomidé (Hercule, 2021), la star congolaise d’aujourd’hui Fally Ipupa (Likolo, 2020), le basketteur congolo-espagnol Serge Ibaka (Champion, 2021)…
La liste est longue, et pourtant Jefe, qui a multiplié les records depuis sa sortie le 3 décembre dernier, est un album sans aucune participation extérieure, où seule la voix de Ninho vient remplir l’espace vocal laissé par sa kyrielle de beatmakers, pour la plupart inconnus en dehors de la sphère des initiés du rap game (Artro, Mi8, PhilyAsap, Young KO, Ani Beatz, Daimo Beats, etc.).
Sur ces 15 titres, la recette est toujours efficace, qu’il s’agisse d’histoires de gangsters (La maison que je voulais), d’égo trips sophistiqués (Sky Priority) ou de ce qui se rapproche le plus d’une chanson d’amour (Athena).
William Nzobazola, congolais d’origine, banlieusard depuis toujours, star depuis les années 2010, trace sa route en privilégiant la musique. Un trajet qui le rend atypique dans ce rap jeu où l’image dépasse parfois les qualités microphoniques. Peut-être est-ce tout simplement ça qui explique le succès pharamineux et constant de Ninho, enfant du rap nouvelle génération qui semble bien parti pour bâtir une longue carrière.
Ninho Jefe (Mal Luné Music/ Rec 118) 2021